Nouvelle étape du périple écossais : Campbeltown et les distilleries Springbank et Glengyle. Ce sera un poil long, alors en un mot : exceptionnel !
Campbeltown, comme Brest, fait partie de ces villes où l’on ne passe pas. On s’y rend, volontairement. Et bien souvent, c’est pour y déguster du whisky. Perdue au bout de la longue péninsule du Kintyre, à l’Ouest de l’Écosse, Campbeltown ne se rejoint pas en moins de 2h. De route ou de ferry, si vous êtes chanceux !
Mais une fois sur place, nous sommes dans l’une des régions de production de whisky à la personnalité la plus marquée d’Ecosse. Car oui, avec seulement trois distilleries, Springbank, Glengyle et Glen Scotia, Campbeltown est une région à part entière !
Il faut dire qu’au XIXe siècle, ce n’étaient rien de moins que 53 distilleries qui essaimaient les rues de ce petit port ! On dit même que les marins parvenaient à retrouver l’entrée du Loch rien qu’à l’odeur des spiritueux…
Ce glorieux passé est bien loin et Campbeltown aujourd’hui tient plus de la petite bourgade tranquille, pour ne pas dire morne, à l’âme toujours industrieuse et ancrée dans une tradition du travail manuel. Si les grandes demeures en pierre de taille s’étalent toujours sur le rivage, les murs de la ville sont plutôt décrépis et on sent aujourd’hui l’âme de ces anciennes cités ouvrières un peu délaissées par un monde en quête de centralité.
Au coeur de cette ville non sans charme se trouve un joyau, véritable témoin de cette âme industrieuse n’ayant pas encore rendue son dernier souffle : la distillerie Springbank et sa petite soeur nouvelle-née, Glengyle.
Oubliez ce que vous pensiez savoir sur les distilleries aux murs de chaux blanche immaculée et aux alambics de cuivre rutilant. Springbank, c’est du pur artisanat à l’ancienne, pas glamour, mais respectant des traditions qui ont faites leurs preuves. Comme nous l’a dit Clara notre guide : “il y a 50 ans, c’était la même chose, dans 50 ans, cela le sera toujours”.
De fait, visiter Springbank, c’est pénétrer dans un musée encore vivant et actif de la production de whisky.
Les bâtiments sont de pierre couleur brique à la mode industrielle du XIXe siècle. Ici, pas de pagode, une simple cheminée pratique. Le décor est planté, la visite peut commencer !
La distillerie contrôle le processus de production de A à Z, depuis le maltage de l’orge jusqu’à la mise en bouteille. Et tout ce processus (à l’exception de la chaîne d’embouteillage) est entièrement manuel et sans le moindre ordinateur !
Springbank a été créée au XIXe siècle et continue aujourd’hui d’être exclusivement détenue par des capitaux familiaux, ceux de la famille Mitchell qui gère également une grande part des étapes de la production. Employant 85 personnes dans une ville de 3500 âmes, c’est une entreprise centrale pour la survie de ce petit port du bout du monde, et les Mitchell font tout pour favoriser une main d’oeuvre locale employée de manière pérenne.
Seule distillerie d’Écosse à effectuer 100% de son maltage elle-même, Springbank offre donc de débuter la visite par les aires de maltage, de grandes salles où l’orge est étalée à la pelle après avoir été trempée pendant trois jours. L’essentiel de l’orge de la distillerie provient de la côte Est de l’Écosse, mais une petite part est également locale.
La température de l’air et l’aération sont essentiellement contrôlées via l’ouverture ou non de fenêtres. L’orge est très régulièrement retourné manuellement afin qu’elle germe de manière uniforme et ne se compacte pas.
Le kiln, four de séchage, est également à l’ancienne ! C’est durant cette étape qu’est choisi le degré de tourbe du malt : pas du tout pour Hazelburn, un peu pour Springbank et Kilkerran, nettement plus pour Longrow.
Le moulin de la distillerie est essentiellement en bois et date des années 1920. Comme beaucoup de matériel lié au travail du malt dans la distillerie, il a été fabriqué par la société Porteus de Leeds, une société mythique ayant fait faillite car vendant des machines d’une qualité telle qu’on ne devait jamais en changer !
Entre ces étapes, le grain est transporté par des tapis roulants qui passent dans de vieux greniers poussiéreux fleurant bon les vieux moulins du début du XXe siècle. Le bois et le fer dominent, rien de rutilant !
La mash tun (cuve de brassage) ne fait que confirmer cette impression industrieuse et à l’ancienne, ce sentiment d’être transporté complètement hors du temps : en fonte plutôt qu’en cuivre, elle est massive et fait plus penser aux charmes du patrimoine industriel suranné qu’aux lustres de la production d’une boisson de luxe !
Les très belles cuves de fermentation, en mélèze norvégien, viennent compléter le tableau. Sans parler des alambics, en cuivre, bien sûr, mais transpirant tellement le travail et l’âge avec leurs coulées d’oxydation verte leur apportant tout leur cachet. Nous ne sommes pas bien loin des fantaisies steampunks ! Trois alambics ici, un wash-still et deux low-wines-still car Hazelburn est distillé trois fois et Springbank deux fois et demies ! Point de gros volumes : la distillerie produit seulement 250 000 d’alcool par an, nous sommes résolument à une échelle artisanale !
D’ailleurs, le poste de coupe des têtes et des queues, entièrement manuel et joliment teinté par l’oxyde de cuivre confirme cette orientation résolument artisanale.
C’est donc le moment de goûter le new-make, l’esprit tout juste distillé et réduit à 63,5% avant d’être mis en fût. Ici, il s’agit d’un new-make destiné à la marque Springbank. Quel délice ! Les arômes fermentaires se mêlent avec grâce à un superbe fruité, à une grande fraîcheur végétale et à une très légère pointe tourbée. En bouche, c’est à la fois vif, ample, accrocheur et d’une longueur étonnante. Quel dommage que ce ne soit pas commercialisé tel quel, n’importe quel amateur de rhum blanc travaillé ou plus largement d’alcool blanc y trouverait plus que largement son compte !
La visite se poursuite avec un rapide tour de la distillerie Glengyle, attenante à Springbank et détenue par la même famille Mitchell. De fait, c’est le même personnel et le même orge malté sur place qui sont ici utilisés ! La distillerie produit le malt Kilkerran, ce nom ayant été choisi car la marque Glengyle existait déjà.
De fait, Glengyle a été ressuscitée de ses cendres bien refroidies en 2004. Les bâtiments désaffectés ont été refaits. Là où Springbank est un vrai labyrinthe, un empilement de morceau et d’agrandissements ajoutés les uns aux autres sans logique productiviste, à la manière des ruelles romantiques d’une ville médiévale, pour Glengyle, les choses ont été faites de manière plus rationnelle avec une logique d’étapes de production successives. Mais ceci sans jamais sacrifier à l’artisanat et au travail manuel ! Là encore, c’est un aspect industriel brut bien plus qu’une distillerie-oeuvre d’art qui charme.
Aujourd’hui, Glengyle ne tourne que six mois par ans et ne produit que 150 000 litres d’alcool chaque année. Une micro-production donc !
Le style de Kilkerran est bien plus en finesse que celui des jus sortant de chez Springbank. Équilibre, élégance et soyeux sont les maîtres mots ! Nous goûtons le classique Kilkerran 12 ans, regrettant que le Kilkerran Heavily Peated, sorti en édition limitée, ne soit plus disponible nul part, pas même ici (Edition deux mois plus tard : nous avons réussi à dénicher pour la cave quelques bouteilles de Kilkerran Heavily Peated. Elles se sont bien entendu vendues à très grande vitesse. Il faut dire que, pour l’avoir goûté à cette occasion, c’était une vraie claque, pas franchement en finesse, mais d’une intensité et d’une précision folles !).
Enfin, nous nous rendons dans l’une des warehouses, ou chai de vieillissement. Les fûts sont ici entassés par centaines selon une logique seulement connue du maître de chai ! Les quarter-casks de bourbon côtoient allègrement les hogsheads de sherry, les fûts de porto et ainsi de suite !
La dégustation qui nous est réservée est d’anthologie. Tous les whiskies sont goûtés directement au fût, à leur degré d’alcool naturel.
Nous commençons par Hazelburn 21 ans, issu d’une distillation de 1998 et ayant vieilli en fût de bourbon. Quelle rondeur, quelle gourmandise ! Le bourbon associé à la triple distillation font de lui un whisky très facile d’accès mais doté d’une grande profondeur et d’une vraie personnalité !
Nous enchaînons avec un fût de Springbank 25 ans. Ce fût est un hogshead contenant des whiskies ayant vieilli en fût de sherry et de bourbon. Il s’agit de l’un des plus vieux whisky aujourd’hui dans les chai de la distillerie car celle-ci avait vendu une grande part de son stock dans les années 1990 suite à un sérieux manque de liquidités. Quelle claque ! Le whisky du séjour, sans doute. Une complexité folle au nez avec des épices nobles, un boisé finement intégré et, toujours, des arômes de fruits secs. La tourbe classique de Springbank n’est presque plus perceptible mais donne un léger relief à l’ensemble. Mais c’est en bouche que ce whisky explose vraiment : un attaque douce et suave qui explose soudainement pour emplir toute la bouche ! Un vrai feu d’artifice qui dure et dure encore !
Enfin, nous terminons la dégustation par un fût de Longrow 14 ans. Il s’agit d’un ancien fût de merlot chilien venant compléter le vieillissement d’un whisky longtemps assagi en fût de bourbon. Au nez, la claque est encore plus impressionnante que sur le Springbank 25. Une complexité complètement folle entre une fine tourbe, des notes végétales, des épices chaudes et surtout tout un panel de notes de fruits rouges allant du fruit frais au fruit bien mûr. En bouche, c’est plus sage, d’une belle douceur, une caresse gourmande. Un whisky moins rentre-dedans que son prédécesseur mais qui sait se faire charmeur. Magnifique également !
Quelle visite ! L’impression d’avoir été deux heures durant un peu hors du temps, plongé dans un monde partagé entre les époques, à l’image de ces whiskies, si bons dès leur prime jeunesse mais sachant également se faire attendre. Une distillerie résolument artisanale où le travail manuel n’est pas un vain mot et où l’authenticité réelle n’est jamais esbroufe. Sans nul doute le point d’orgue de ce voyage ! Un grand merci à la distillerie pour cet accueil hors du commun !
Si jamais vous allez en Écosse, faites un petit détour par Campbeltown et par Springbank, vous ne pourrez qu’être charmés. Même si vous n’aimez pas le whisky. Promis !